La première ascension du capitaine Spelterini à Bienne a eu lieu hier en présence d'une foule énorme de spectateurs, qui avaient pris place partout d'où l'on a vue sur l'emplacement. Il y en avait même sur les toits des maisons voisines. Dans l'enclos de l'usine à gaz, l'assistance eût pu être un peu plus nombreuse.  Pour attirer plus de monde, la prochaine fois, le prix des troisièmes places sera fixé à 50 centimes.

Les diverses opérations de gonflement ont vivement intéressé toute l'assistance et la curiosité semblait mercher de pair avec l'augmentation de volume de l'immense boule. Vers 3 h 30 les 1500 cubes de gaz étaient engloutis. Disons ici que l'Urania, un ballon en soie plonghée, a 15 mètres de diamètre, que sa soupape est à 23 mètres au-dessus du fond de la nacelle. À 20 centimes le mètre cube, le gonflement revient à 300 francs. 
Le cercle de la nacelle, puis la nacelle furent accrochés. Les sacs de lest se rapprochaient de plus en plus, le moment de l'embarcation est arrivé.

Quatre passagers, outre l'intrépide capitaine, prennent dans ce panier, entre des sacs de lest et les autres accessoires nécessaires, sans oublier quelques bouteilles de champagne. A 4 h le sacramentel: "Lâchez tout!" est prononcé. Le colosse s'élève majestueusement dans les airs, accompagné des acclamations des milliers de spectateurs et d'une pièce de "bon voyage" de l'Union instumentale.
Tous les regards sont dirigés vers le ciel. Le capitaine Spelterini, qui ne connaît pas de danger, se tient debout sur le rebord de la nacelle, une jambe et un bras étendus, et salue la foule à plusieurs reprises. L'Urania se dirige vers le nord. A 4 h 10 elle est à 1200 m d'altitude, à 4 h 20 à 1400 m.

La vue des lacs est magnifique. A 4 h 45, la hauteur atteinte est de 2200m. La vue s'étend sur le Ballon d'Alsace, les Vosges, toute la chaîne des Alpes, depuis le Grand Salève au Säntis.  A 5 h 05, la hauteur est de 3000 mètres. Laérostat se trouve alors au-dessus de Moutier. On distingue 7 vallées et la vue porte à 200 kilomètres.

A 6 h 30 le ballon commence à descendre dans la direction de Moutier.  Le terrain ne se prêtant absolument pas à l'atterrissage, il est de toute nécessité d'alléger l'aérostat, afin de le faire remonter. Le lest étant épuisé, on décide qu'un des passagers sera mis à terre. A 6 h 40, par une habile manoeuvre du capitaine, M. Verdan peut descendre, se laissant glisser le long d'une corde, dans une forêt du flanc du Raimeux, près de Moutier.

Ainsi soulagé, le ballon remonte de 1000 m environ, puis redescend rapidement, mais cette fois sur un petit plateau au sommet du Raimeux. L'atterrissage se passe bien.

Cette ascension a été, paraît-il, une des plus remarquables executées par le M. Spelterini. Les passagers ne tarissent pas d'éloges sur la manière dont il dirige son ballon. On se sent avec lui en pleine sécurité.

M. Verdan, qui a malheureusement été victime d'un accident lors de la descente sur la montagne près de Moutier - chute dans laquelle il s'est cassé le péroné - est revenu déja hier à Bienne.




Sources:

Journal du Jura, 24 juillet 1894