Archives historiques de la région de Bienne, du Seeland et du Jura bernois

Robert Walser: écrivain, promeneur

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En 1917, autour de la frontière suisse, la Première Guerre mondiale réclame en tribut des millions de vies humaines. C'est alors que Robert Walser (1868-1956) publie «La Promenade», récit dont une nouvelle version apparaît en 1920 dans le recueil de textes en prose intitulé «Seeland». A cette époque, il n'est qu'un poète sans le sou rentré de Berlin et qui vivote à Bienne en parfait marginal. Sa situation financière est déplorable et ses perspectives d'entreprendre une nouvelle carrière ne sont guère meilleures. Son frère Karl, en revanche, a acquis grâce à la peinture une notoriété qui tient du rêve pour le poète. L'édition de luxe du recueil «Seeland», imprimée à 600 exemplaires par les Editions Rascher, s'écoule très lentement, comme tous ses livres, malgré les cinq eaux-fortes de Karl qui illustrent l'ouvrage.

Toutes ces difficultés n'influencent malgré tout guère la prose de Robert Walser. Il passe, lorsqu'il se promène, pour un «homme déterminé et solide», et même pour un «lord ou un grand seigneur» qui se permet de contempler la région d'une façon privilégiée grâce à son inactivité. L'ironie et la fierté du promeneur oisif par choix traversent d'un bout à l'autre «La Promenade», un texte qui, par endroits, se transforme en un dialogue à trois entre l'auteur Robert Walser, le moi qui raconte en se promenant et le lecteur auquel il s'adresse.

Tout au long de sa vie, Robert Walser, natif de Bienne, s'est passionné pour la promenade et la randonnée. Un jour, dit-on, il a marché de Berne jusqu'au Niesen et il est rentré le même jour, ce qui représente vingt-quatre heures de marche forcée. Mais quand, dans son récit de 1917 «La Promenade», il nous emmène dans une promenade poétique, nous ne savons jamais tout à fait si elle est vraie ou même possible. Car il ne se contente pas seulement de décrire ses impressions extérieures, son style s'inspire aussi du jeu des pensées surgies en chemin. Dans la cadence régulière de sa progression, ses pensées s'associent pour former de longues chaînes, s'écartent et, à partir d'une impression particulière, atteignent quelque chose d'inédit. Des réflexions sans raison apparente rompent à tout moment la description des alentours et, à partir des différentes impressions ressenties, il songe à son existence d'écrivain et à la valeur qu'il accorde à son époque. Il joue surtout de manière particulièrement subtile avec les nuances de la langue.

Robert Walser observe avec précision son environnement, dans un état d'âme romantique et aventureux selon ses propres termes. Mais qu'entend-il par environnement? Walser ne pense pas au Seeland à proprement parler, car dans «La Promenade», le «Seeland», comme l'écrit Robert Walser dans une lettre, «peut se situer partout en Suisse, en Australie, aux Pays-Bas ou quelque part ailleurs». Cependant, Robert Walser ne recompose pas de toutes pièces le cadre naturel et il a longtemps été injustement considéré comme un écrivain transformant la nature pour lui donner un aspect idyllique. Au cours de ses promenades, Robert Walser est toujours confronté aux excès du monde moderne qu'il désapprouve fortement. Il se répand en invectives contre le trafic privé, encore rare à cette époque-là mais porteur d'espoir pour les journalistes partisans du progrès: «Malheur aux automobiles qui, froides et méchantes, s'engagent dans le jeu des enfants, dans le royaume céleste des enfants, au risque d'écraser ces petits êtres innocents.» Le panneau publicitaire doré d'une boulangerie le choque par son mauvais goût: «Que le diable emporte cette misérable manie de vouloir paraître plus qu'on n'est, car c'est une vraie catastrophe. Tout cela contribue à répandre sur terre le péril de la guerre, la mort, la misère, la haine et la diffamation (...).»

Or, ces considérations innocentes et naïves à première vue cachent et travestissent ironiquement une révolte contre les excès de la civilisation, au nom de laquelle les hommes s'entretuent. Le retrait dans le monde du promeneur, qui peut être embrassé du regard, telle est la méthode que Robert Walser a choisie pour se manifester face au quotidien. Peut-être est-elle moins directe que l'autre, mais elle agit plus longtemps.



Auteur: Andreas Schwab / Source: 2005
Format: 2005-12-15 00:00:00