Archives historiques de la région de Bienne, du Seeland et du Jura bernois

Louis Agassiz

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La période scolaire de Louis Agassiz au gymnase de Bienne

Agé de 10 ans, Louis Agassiz entrait comme pensionnaire au gymnase de Bienne. Fils de pasteur, de Môtiers, il fit partie des premiers élèves de l'institution, fondée en 1817. Ses classes avaient été d'abord installées dans le bâtiment scolaire de la ville, rue Basse, le pensionnat se trouvait à la rue Haute 22, dans la maison privée de sa directrice. En automne 1818, école et pensionnat étaient transférés dans les locaux de l'ancien hôpital, à la Hintergasse. Depuis l'année 1818, le gymnase de Bienne se trouvait dans les locaux de l'ancien hôpital qui avait été installé durant l'an 1751 dans la construction principale de l'ancienne Commanderie de St Jean. Les locaux scolaires se trouvaient au rez-de-chaussée, le pensionnat au 1er étage. Comme le montre encore la façade nord du bâtiment d'école Dufour-Est, l'essentiel du bâtiment est demeuré en l'état, jusqu'à nos jours.

Agassiz se sentait bien à Bienne. A n'en pas douter, ce fut le résultat de Marie-Louise Bloesch, la directrice de cette institution pour écoliers internes. Ces internes, au nombre de trente environ, hébergés à l'étage supérieur du gymnase, étaient sous la surveillance d'un enseignant; il recevait une indemnité supplémentaire pour cette tâche usante. Parmi les tâches du surveillant figurait l'observation du bilinguisme: les pensionnaires devaient s'exprimer alternativement 15 jours en allemand et 8 jours en français. Le déroulement de la journée dans l'internat se faisait de la manière suivante: le lever avait lieu très tôt le matin, à 5 heures, mais en hiver le début de la journée était une heure plus tard. Cinq minutes après le lever, les élèves devaient se rendre à la prière du matin. A six heures moins le quart, on faisait sa toilette, à six heures il y avait du lait ou une soupe au petit déjeuner. Les cours commençaient à 7 heures; après respectivement deux à trois heures, ils étaient interrompus par des pauses, par un des trois repas ou par du temps mis à libre disposition. Quatre à cinq heures par jour étaient consacrées à l'étude personnelle. Et après la prière du soir, vers 21 heures, on étaignit les lumières. Quitter l'enceinte scolaire n'était permis qu'avec l'autorisation du surveillant. En ville, on reconnaissait les gymnasiens à leurs uniformes bleus, et leurs shakos (populaires depuis Napoléon).

Le gymnase de Bienne mettait beaucoup de temps à disposition pour l'étude personnelle. Voilà qui convint sûrement à Agassiz. Au début surtout il apprécia la petite bibliothèque de la maison pour les pensionnaires. Mais dans une lettre à son père, il demandait des livres modernes de géographie, de grec, de latin, ayant déjà étudié tous les livres qui se trouvaient à disposition. Déjà quand il était gymnasien, Agassiz avait installé une petite collection de poissons et, durant les périodes de vacances scolaires, était instruit en botanique pratique. Lorsque le gymnase de Bienne reçut du glaciologue bernois, Samuel Wyttenbach, tout un choix de minéraux comme fonds pour sa collection d'histoire naturelle, Agassiz était très probablement aussi du nombre de ses contemplateurs les plus intéressés. Dans les archives Agassiz à l'Université de Neuchâtel, on trouve une feuille d'appréciation, par laquelle les instituteurs Friedrich Wünternitz (latin, allemand) et Lemb (arithméthique, géométrie, algèbre) s'exprimaient sur les résultats et le comportement d'Agassiz. Parmi les enseignants d'Agassiz, on compta aussi Friedrich Oesterli (gymnastique) et le peintre Johann Peter Girard (dessin). Le futur homme de sciences eut un contact plus étroit avec Johannes Rickly, qui enseignait en 1817 le français, le latin, l'histoire, la géometrie et la géographie. Que le contact d'Agassiz avec Rickly dura au-delà de la période scolaire eut probablement à voir avec le fait qu'il remplit en plus la fonction de surveillant, jusqu'en 1821; et fut ainsi très présent pour les pensionnaires. Après le départ de son écolier doué, Rickly intervint auprès des parents d'Agassiz afin que son protégé puisse apprendre non pas la théologie, mais la médecine. En fait, l'ex-gymnasien biennois put terminer sa formation scolaire à Lausanne, avant d'entamer des études de médecine à Zurich.

Adulte, Agassiz mentionna parmi d'autres, l'influence positive des leçons de gymnastique qu'il avait eues au gymnase de Bienne. Autrefois, c'est à peine si une école possédait quelque appareil de gymnastique. Par contre, les punitions par lesquelles les règles en vigueur au gymnase devaient être imposées furent plutôt traditionnelles. Par exemple, la Tour Rouge servait, entre autres, pour l'acomplissement des arrêts (cachot). Pour le gymnase de Bienne, il y avait la nécessité importante d'encourager ses élèves à de bons résultats. Après les examens annuels, fin septembre, avait lieu une cérémonie de clôture, à l'église au Ring, au cours de laquelle les élèves ayant particulièrement réussi recevaient un cadeau, sous forme de livres. En 1818, 23 élèves furent récompensés; un quart donc de l'effectif des écoliers; et en 1819, un tiers même. Agassiz aussi faisait partie régulièrement des écoliers récompensés. Cependant, en 1821, c'est à lui que revint l'honneur de tenir le discours au nom des écoliers. Lui qui avait alors 14 ans, y loua ainsi le gymnase de Bienne comme étant "une pépinière originale". Bien des années encore après sa période biennoise, Agassiz expliquait que le gymnase lui avait fourni les bases de ses succès futurs: par une éducation très tôt au travail, par la discipline et une activité sportive.

La contribution d'Agassiz à la théorie de la glaciation

Au 18e siècle déjà, des savants se demandèrent comment ces nombreux grands blocs constitués de roches alpines avaient bien pu parvenir sur les pentes du Jura. Les essais d'explications ne manquaient pas: ces "blocs erratiques" seraient tombés du ciel, prétendaient certains, d'autres pourfendaient la thèse que ces débris des Alpes auraient été portés par les eaux en d'immenses vagues d'inondations jusqu'aux flancs de Jura. Alors que plus d'un savant reliait cette seconde thèse avec l'idée du déluge biblique, d'autres recherchaient des explications physiques au phénomène. D'éminents scientifiques de la nature partaient de l'idée que de gigantesques masses d'eau s'étaient déplacées dans un intervalle de temps extrêmement court: soit par un brusque relèvement des Alpes, ou bien à la suite d'un effondrement soudain des sols du Plateau. L'idée que les blocs erratiques avaient été transportés par des glaciers était ignorée des plus éminents scientifiques d'autrefois: les publications de Kuhn (1787), Hutton (1795), Playfair (1802) et Esmark (1824) étaient restées presque sans écho. Ce n'est qu'avec le temps que les observations de simples habitants des Alpes aboutirent à convaincre certains scientifiques suisses de l'importance des glaciers dans le passé: en 1818, Jean-Pierre Perraudin, Valaisan, chasseur de chamois arriva à cette conclusion en observant de nombreux blocs erratiques en fond de vallée, qu'un glacier aurait rempli autrefois la vallée du Rhone, jusqu'à Martigny. En 1922, l'ingénieur valaisan Ignaz Venetz formulait les mêmes idées, sur une base scientifique: à une période préhistorique sombre, un climat froid aurait permis la formation de gigantesques glaciers. Ceux-ci auraient transporté ces blocs erratiques jusque loin dans les plaines. Tels furent les écrits de Venetz. Ses thèses, publiées en 1833, ne trouvèrent cependant que bien peu de résonnance. Le savant naturaliste Jean de Charpentier, continuant à être influencé par les idées de Venetz, décida alors de débattre de ses avis, une année plus tard, devant la Société suisse de sciences naturelles. A l'assemblée annuelle de la société, à Lucerne, il annonça que les blocs erratiques auraient été transportés par des glaciers, à une période très reculée de l'histoire, jusque dans les vallées. Mais la communication de Charpentier ne trouva guère plus d'écho que la publication de Venetz: l'enseignement des vulcanologues, selon lequel notre planète, depuis l'époque de son apparition, se trouvait dans un processus de refroidissement continu, dominait la pensée des scientifiques de ces années-là. L'idée qu'à des périodes très anciennes, le climat ait été vraiment plus froid s'accordait mal à cette thèse. Agassiz également eut des doutes concernant les explications de Charpentier. Il était néanmoins motivé à profiter d'un séjour à Bex, en été, pour une confrontation avec le naturaliste. Au cours de ce séjour, Charpentier et Venetz le persuadèrent, soulignant ces traces des glaciers dans les vallées valaisannes. Agassiz se mit avec ardeur à développer une théorie correspondante, à partir de ces nouveaux apports. Son ancien camarade d'études, Karl Schimper, l'accompagnait dans ce processus; le 15 février 1837, il fixait la notion de "période glaciaire". Le 24 juillet 1837, lorsqu'Agassiz, dans sa fonction de président, ouvrit la séance de la Société suisse d'Histoire naturelle, les naturalistes éminents en Europe étaient venus. Le public présent attendait une communication sur les poissons fossilisés, cependant Agassiz avait passé la nuit précédente à mettre au point ses dernières découvertes sur les glaciers. Déjà aux premières explications d'Agassiz en faveur de Charpentier et Venetz, une agitation traversa le public; et lorsqu'il ébaucha sa représentation d'un paysage sous cette grande étendue de glace, il fut accueilli par une indignation bruyante et des rires. Agassiz ne se laissa pas détourner de l'idée, expliquant patiemment que ces arêtes aiguisées des blocs ne pouvaient pas être compatibles avec l'idée d'un transport par des vagues d'eau. Choquant même ensuite ceux qui jusque là avaient montré de la réserve, il expliqua: Autrefois, l'hémisphère Nord de notre planète se trouvait sous un gigantesque glacier. Ignorant les exclamations de colère, il illustra: "Un hiver sibérien s'étendit sur un univers qui était jusqu'ici planté d'une végétation luxuriante et peuplée de grands animaux... La mort répandit son linceul sur toute la nature." Par sa théorie montrant l'existence d'une glaciation, qui aurait marqué de grands ensembles de la terre, Agassiz était largement en avance sur son époque. Mais dans les détails il se trompa: il ne considérait pas la gigantesque calotte glacière sur le Plateau suisse comme le résultat d'une avancée de glaciers alpins, mais comme une partie d'un bouclier de glace s'avançant depuis le nord de l'Europe. Les Alpes auraient fait saillie d'un coup, soit durant un très court laps de temps, des masses de glace et auraient fait de la surface glacière une plaine en pente; les blocs erratiques auraient ainsi roulé sur celle-ci jusqu'aux chaînons du Jura. Que l'exposé d'Agassiz ait mis en avant de façon déterminante l'idée d'une période de glaciation influençant le climat de la terre, résida surtout dans la renommée importante que le jeune naturaliste avait acquise après des années d'intense labeur. Son travail sur les poissons fossilisés, qui parut à partir de 1833 en 5 volumes extraordinairement bien illustrés, fit l'effet d'une révolution à l'échelle mondiale. En plus, cet homme lettré dans plusieurs domaines attira l'attention du monde scientifique, les années qui suivirent, sur la signification des glaciers, en effectuant des recherches sur le terrain, étendues, conçues de façon moderne, y mettant à la fois grande énergie et persévérence. Au cours de ces recherches, Agassiz et ses collaborateurs construisaient, sur la moraine médiane du glacier inférieur de l'Aar, une modeste cabane d'hébergement qu'ils nommèrent "Hôtel des Neuchâtelois". C'est en 1840 qu'Agassiz présenta les résultats de ces recherches dans un ouvrage très considéré, "Etudes sur les glaciers". Adepte de la théorie des catastrophes, de Cuvier, Agassiz rejetait entièrement les enseignements de Darwin sur l'évolution des espèces. Elément important de sa manière de voir le monde, ce fut son idée que la glaciation fut une partie de la création de l'univers, par Dieu. L'hiver, s'étendant sur l'ensemble de la terre aurait amené à la disparition de toutes les espèces, afin que dans la période suivante de réchauffement une autre forme plus élaborée de la création puisse apparaître. C'est pourquoi il était important pour Agassiz, de montrer, d'entente avec d'autres scientifiques, l'ampleur des surfaces jadis recouvertes de glace. En 1846, le savant émigra vers les Etats-Unis. Il travailla là-bas à établir les preuves de traces d'une période glaciaire en Amérique du Nord. À son intention philosophique consistant à trouver un sens à ce processus brutal, les résultats obtenus ne suffisaient pas à long terme. En 1865, le pionnier des sciences naturelles du continent nord-américain se mit à rechercher les traces de glaciers de période de la glaciation près de l'équateur, durant une expédition traversant le Brésil et les Andes. Après son retour, le 6 août 1866, Agassiz annonçait qu'il avait trouvé des traces dans la zone tropicale, permettant de conclure que le bassin de l'Amazone et les Andes avaient été recouvertes jadis par un glacier. Cependant, bien que le monde scientifique admettait entre-temps, en grande majorité, la thèse d'une période glacière, il réagissait aux explications plutôt clairsemées d'Agassiz, qu'avec embarras. Le savant qui avait entre-temps 59 ans, resta sur ses positions, insistant sur l'idée que cette boue très fine, sur le fond de Amazone, faisait partie des traces de glaciers disparus depuis longtemps.

Agassiz et sa théorie des races

Au cours du 19e siècle, l'esclavage pratiqué aux Etats-Unis était toujours plus soumis à pressions. Le principe chrétien d'égalité, selon lequel "tous les hommes naissent égaux", s'étendit progressivement à la population noire. Pour le chrétien et croyant Louis Agassiz, la rencontre directe avec l'esclavage (en 1846) fut plutôt occasion de justifier les rapports existant à l'époque. En contradiction avec ses avis d'autrefois, il soutint dès lors la thèse que l'homme était apparu en différents lieux de la terre. Ainsi, d'après lui, existaient huit races humaines, dont il était persuadé qu'elles n'étaient pas égales. Cet observateur habituellement si exact, parleit de remarques caractéristiques de races entières - décrivant les Idiens comme courageux et fiers, les Mongols comme lâches et dissimulateurs, les Noirs serviles. Se basant sur ces suppositions, Agassiz considérait comme dangereuses les relations sexuelles entre différentes races. En 1854 paraissait l'ouvrage en un volume "Types of Mankind or Ethnological Research" qui contenait un chapitre d'Agassiz. Le livre devait gagner l'opinion publique à la cause du maintien de l'esclavage. Même durant l'expédition de 1865 au Brésil, ce chercheur sur les climats se consacrait à sa théorie des races. Dans un projet photographique, il tâcha d'illustrer objectivement les conséquences négatives du "mélange racial". Et, de façon significative, les photographies ne permettaient pas telles interprétations; sur quoi Agassiz fit paraître, à la place, des graphiques, modifiés, qui correspondaient à ses idées. Déjà avant, afin d'appuyer ses thèses sur les provenances diverses des races et la dangerosité des mélanges raciaux, Agassiz s'était servi de la photographie. Faisant un séjour dans la famille Gibbes en Caroline du Sud (mars 1850), Agassiz avait examiné des esclaves nés en Afrique, qui après la mise hors la loi du commerce des esclaves par le Congrès de Vienne (1815) avaient été vendus illégalement aux Etats-Unis.

Le rôle d'Agassiz au 19e siècle et sa signification aujourd'hui

Lorsqu'Agassiz décéda, le 31 décembre 1873, la présence du vice-président des Etats-Unis à son enterrement montrait quelle importance le défunt avait acquise pour ses contemporains. Agassiz avait contribué de manière décisive à placer sous un jour nouveau l'histoire du climat de la terre. Les honneurs qu'on fit à son nom furent conséquents: la tombe d'Agassiz devait être le premier de nombreux lieux de souvenir. Elle fut munie d'un bloc erratique de plus d'une tonne, qui provenait de Suisse. Et l'on donna son nom aussi à plusieurs sommets de montagnes: en Californie le "Mount Agassiz", à la frontière Chili-Argentine le "Cerro Agassiz" et en Suisse, le Pic (Pointe) Agassiz. Dans notre regard d'aujourd'hui, Agassiz semble avoir été marqué dans bien des domaines par son origine réligieuse. L'écho remaquable que le fils de pasteur avait trouvé aux Etats-Unis, s'explique aussi par le fait qu'Agassiz tâcha de lier la science moderne à la foi chrétienne. Que la foi ne l'ait pas entravé dans l'essai de vouloir justifier scientifiquement l'esclavage, laisse stupéfait, non seulement dans notre optique d'aujourd'hui. Egalement à propos de la théorie de la glaciation, le rôle d'Agassiz se voit relativisé par des historiens des sciences. Lors de la reconnaissance des nouvelles découvertes, on lui attribue en premier lieu le rôle d'un "catalysateur". L'idée que les glaciers aient joué autrefois un rôle beaucoup plus important, fut, avant lui déjà, exprimée par différents chercheurs, en partie avec plus de précision. A côté de l'activité d'Agassiz comme instigateur d'une théorie visant à la justification de l'esclavage, demeure sa prestation incontestable d'avoir aidé à se réveler la théorie de la glaciation, par la publication d'hypothèses courageuses, un travail public engagé et une minutieuse recherche scientifique.

Sources et monographies:

Archives de Louis Agassiz, A. Passeports, Certificats, Diplômes, 1/1.1 E. Souvenirs 2/1

Bähler, Arnold: Biel vor hundert Jahren, Andres & Kradolfer, 1916.

Blair Bolles, Edmund: Eiszeit, Argon Verlag, 2000.

Fässler, Hans: Reise in Schwarz-Weiss, rpv, 2006.

Hertig, Paul: Louis Agassiz und das Bieler Gymnasium, Bieler Jahrbuch, 1994.

Schaer, Jean-Paul: Agassiz et les glaciers. Sa conduite et ses mérites. Eclogae geol. Helv. 93 (2000).

Wyss, Jakob: Das Bieler Schulwesen 1815-1915, Andres & Co, 1926.



Auteur: Christoph Lörtscher / Source: Diverses 2010
Format: 2008-06-01 00:00:00